Milieux populaires, milieux apolitiques, milieux déconnectés ? Expériences politiques et informationnelles québécoises au prisme de la classe, la blanchité, la nation et le genre
Thèse de doctorat (2022)
Ma thèse porte sur les pratiques informationnelles de personnes blanches, dépolitisées et issues de milieux populaires québécois non démunis. Elle traite du rôle que jouent ces pratiques dans les relations que ces personnes maintiennent avec le politique durant leur vie et dans quelle mesure les usages des médias numériques reconfigurent cette relation. En s’appuyant sur une approche narrative intersectionnelle (Chadwick 2017, Winker et Degele 2011) de la blanchité (Eid 2018, Pagé 2015), ma thèse confirme que la plupart des personnes participantes évitent de parler de politique dans des lieux publics, y compris en ligne. Trois séries d’entretiens de récits de vie avec huit personnes montrent cependant que dans des situations privées, des discussions politiques animées par un esprit public peuvent émerger (Eliasoph 1998). On y parle de pauvreté, d’économie ou de santé publique. La façon dont les individus parlent de ces enjeux révèle toutefois des préjugés racistes et classistes. Alors que la télévision, la radio et la presse locale jouent un rôle important dans l’ensemble des expériences rapportées, Internet s’y ajoute pour les plus jeunes. Les résultats d’une observation ethnographique des usages web des participant·e·s témoignent d’un recours habile au web 2.0 allant à l’encontre du stéréotype des milieux populaires illettrés en termes numériques. Or, la majorité des participant·e·s éprouvent de la difficulté lorsqu’il s’agit de vérifier la véracité des sources d’actualité en ligne. Ma thèse va donc à l’encontre d’une fracture numérique en termes de statut socioéconomique, mais confirme une fracture sur le plan de l’éducation critique aux médias et à la citoyenneté. Enfin, la présentation de portraits narratifs (Piron 2019) de quatre de mes participant·e·s me permet non seulement de mieux saisir les contextes historiques, sociales et économiques qui façonnent les fractures numériques rapportées dans les récits individuels, mais aussi d’intégrer le contexte situationnel de la recherche. Ainsi, je jette un regard critique complémentaire sur les fractures numériques qui traversent l’univers académique.